Canards enchaînés
Mitterrand en avait fait des chiens, Sarkozy en a fait des esclaves: les journalistes, professionnels ou autres, ne peuvent pas se passer du roitelet élyséen. Qu’il divorce, fricote, caresse les despotes dans le sens du poil ou s’augmente, ils sont tous derrière, obéissants et serviles, attendant d’aller chercher la baballe.
Et pourtant le petit homme s’est à peine tu dix jours durant les dernières grèves que tout le monde écrivait sur son « étrange » et « si long » silence. Et pourtant le petit homme s’est il à peine trouvé une nouvelle première dame qu’ils rappliquent tous, clavier en surchauffe, stylo sur le bloc-notes, index sur le déclencheur, pour tout savoir, tout écrire, tout dire sur cet intime qui, finalement, les passionne, les envahit, les rend fous. Et esclaves. Esclaves de Sarkozy comme Bashung l’était de l’amour. Esclaves de cette politique people bavarde populiste, seule matière première capable en fait de relancer les quotidiens nationaux, en manque de lecteurs, en manque de journalistes. Si Sarkozy n’existait pas, Libération « nouvelle formule » serait encore plus en peine, on n’en doute pas, de boucler ses fins de mois, Le Monde perdrait encore plus d’argent et Le Figaro ne devrait son salut qu’aux sarkozystes intégristes (qui sont nombreux, il faut le dire). Encore Le Figaro on comprend : ils pavoisent à domicile, ils boivent du petit lait devant cet art, cette manière de noyer le poisson dans l’eau du bain de la vie privée que maîtrise à fond le prince de Neuilly. Une légende urbaine prévient les petits enfants que le méchant monstre aux talonnettes et chaussures à glands possède de solides amitiés lui garantissant un contrôle total sur les médias, la presse écrite en particulier, mais pas seulement, les télés aussi, voire les radios. Partout, il posséderait des hommes à lui, puissants et informés comme il faut, malhonnêtes juste assez, hypocrites et opportunistes ; même Ségolène Royal, lucide comme un ministre d’ouverture, a décrypté dans son dernier pensum romanesque « la machine UMP », autrement dit les troupes sarkoziennes, qui avancent et ne laissent derrière elle pas grand-chose. Nicolas Sarkozy serait cette espèce d’Attila taille basse, affamé et jamais rassasié. Mais Sarkozy a-t-il vraiment besoin de faire donner ses relations pour que la presse joue son jeu ? A-t-il, depuis son élection, vraiment eu à passer beaucoup de coups de fil ? On en doute. Ce n’était pas la peine, ça ne l’est toujours pas. La presse, d’elle-même, en pilotage automatique, connaît manifestement le chemin, la route à suivre : en parler, encore et toujours, tout le temps, sous toutes les formes. Ne parler que de ça. Et, de ce fait, laisser croire qu’en France il n’existe rien d’autre. Que Sarkozy et sa vie. Hier c’était les « amis » de Sarkozy (Poutine, Kadhafi), avant-hier, la maman de Sarkozy (qui ne voulait pas que son fils se remarie), cette semaine ce sera donc la petite amie de Sarkozy, puis à nouveau les relations, les amis, la petite amie, l’ex, que trouvera-t-on encore ? Les grands éditorialistes, les chroniqueurs, les spécialistes de la « vie politique française », grands pourfendeurs des « journalistes citoyens » du web qui « se contentent de commenter l’information » (comme si eux faisaient autre chose), ces grands hommes-là, à réfléchir huit heures par jour, sauront, on n’en doute pas, toujours trouver un moyen de rendre incontournables, indispensables, essentiels les faits et gestes du petit homme aux glands cirés. « Rien ne justifie qu’on jette aux chiens l’honneur d’un homme » disait François Mitterrand à l’enterrement de Pierre Bérégovoy. Les « chiens » c’étaient les journalistes, que Tonton jugeait co-responsables du suicide de son ancien ministre. Sarkozy connaît l’histoire, a retenu l’essentiel, malin : si le journaliste est un chien, le chien étant le meilleur ami de l’homme, alors, le journaliste est le meilleur ami de l’homme politique. Jetez-lui dix fois la même balle, il la ramènera dix fois. Cent fois. Mille fois. |