La crise durable de la gauche : la mondialisation (1)

Publié le par webmasters

Par Roland Hureaux.
L'auteur aborde ici les raisons profondes de la crise de la gauche, à travers une série de trois articles. Il explique aujourd'hui en quoi la mondialisation a fait éclater ses contradictions.

On peut être choqué que Nicolas Sarkozy se soit évertué à « débaucher » un certain nombre de figures symboliques de la gauche pour en faire ses ministres ou leur confier une mission. C'est pourtant le jeu normal de la politique : De Gaulle alla chercher des ministres de gauche comme Edgard Pisani ou Edgar Faure, Giscard le tenta à son tour, avec moins de succès : il retourna néanmoins Jean-Jacques Servan-Schreiber. Mitterrand fit la même chose en sens inverse avec Jean-Pierre Soisson. Rien de nouveau dans tout cela.
Ce qui l'est en revanche est le succès étendu de l'entreprise, le nombre de personnalités de gauche qui ont répondu, d'une manière ou d'une autre, aux avances du chef de l'Etat : Kouchner,Strauss-Kahn, Rocard, Lang, Bockel, Védrine, sans compter Jouyet, Hirsch, Amara etc. et tous ceux qui attendent l'arme au pied qu'on fasse appel à eux.
On peut voir là le signe d'une certaine dégradation des mœurs politiques et l'on n'aura pas complètement tort.

Mais il faut y voir surtout la marque de la profonde crise que travers la gauche.
La défaite de Ségolène Royal a donné lieu à une abondante littérature qui commente cette défaite, le livre de Lionel Jospin en étant le dernier fleuron. Trop souvent cependant, ces ouvrages mettent en cause les personnes sans poser le problème de fond.
Or, dans cette crise, la qualité des hommes – et des femmes – n'est pas en cause : bien au contraire, on notera que c'est la gauche qui apporte ses ressources humaines à une droite, qui, à cet égard, paraît à court. Ainsi les affaires étrangères se trouvent aujourd'hui entièrement entre les mains de transfuges de la gauche. L'épisode peu glorieux du ministère Douste-Blazy avait, il est vrai, montré que le degré d'incompétence atteint en la matière par une certaine droite.
La crise de la gauche tient à un épuisement idéologique sans précédent et probablement sans remède.
Faute de voir encore un avenir au parti socialiste, ses figures les plus marquantes le quittent.
Dans cette crise, ce n'est pas, comme on le dit souvent, le succès du libéralisme qui est en cause. D'abord parce que ce succès est loin d'être complet : la multiplication des tensions sociales, l'existence dans plusieurs pays, comme la France, de volants persistants de chômage et de précarité, les lourdes incertitudes qui pèsent sur les marchés financiers et partant l'avenir de nos économies, tout cela montre que, malgré ses succès incontestables, le retour au libéralisme qui prévaut depuis vingt-cinq ans est loin d'être une réussite achevée. Précisément pour cette raison, il y a encore place pour des régulations étatiques ou sociales : protection sociale, services publics organisés, redistribution des revenus, réglementation hygiénique, environnementale etc. Il n'est pas sûr au demeurant que malgré la vague de privatisations en cours en Europe, ces régulations soient elles-mêmes en recul : tous les pays souffrent d'une inflation réglementaire persistante et bien peu arrivent vraiment à maîtriser les dépenses publiques.

La mondialisation contre la gauche

Plus que le libéralisme en tant que tel, ce qui est en cause, c'est la mondialisation. Encore faut-il s'entendre sur le sens de ce mot dont aujourd'hui on use et abuse. La libre circulation de l'information à travers le monde, notamment sur la « toile », qui avait tant fait pour ébranler le communisme ne touche guère, heureusement, les gauches européennes. C'est la seule globalisation économique qui est en cause : libre circulation des biens et services, des capitaux et, de plus en plus, des travailleurs. Cette globalisation suscite, qu'on le veuille ou non, un effet de vases communiquant, entraînant entre les grandes zones du monde une contagion des inégalités et parfois de la précarité. Qui ne voit que la tendance naturelle du libéralisme mondialisé est l'alignement par le haut des inégalités mondiales ? La globalisation du marché de l'immobilier en est un signe parmi d'autres. La course au moins disant fiscal ou au moins disant social entrave les régulations de l'Etat providence, dont les partis sociaux démocrates, même s'ils n'en avaient pas l'exclusivité, avaient fait leur fonds de commerce.
Encore cette globalisation n'aurait-elle pas eu tant d'effets si les grands partis de gauche avaient pu y faire obstacle.
Or non seulement ils ne l'ont pas fait mais ils ont au contraire encouragé cette évolution, parti socialiste en tête.
Ils l'ont fait d'abord parce que la gauche n'a jamais surmonté sa contradiction fondamentale : elle se veut à la fois le parti de la justice sociale et celui de l'universalisme, pour ne pas dire de l'internationalisme. C'est en raison de sa propension originelle à l'universalité qu'elle n'a pu s'opposer à un progrès des échanges de toutes sortes qui prenait le visage de l'ouverture au monde et du dépassement des frontières, sans mesurer que cette ouverture à un monde qui n'est pas encore, ni près, socialiste ne pouvait que compromettre son autre objectif, celui de la justice sociale.

Demain : la gauche et l'Europe

 

 
 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article